Les Sables chauds

Note de l'auteur : Contrairement à ce que le lecteur non avisé pourrait croire, ce récit est basé sur une histoire vraie. Le héros du livre (dont j'ai modifié le nom, à sa demande) m'a raconté cette histoire alors que nous discutions au coin du feu, dans une auberge de la Route Dorée. Le texte est, dans le fond, identique au discours qu'il m'a tenu : il a seulement été remanié pour des raisons stylistiques et, parfois, de décence vis-à-vis des lecteurs (les jurons khajiits, une fois traduits, sont particulièrement choquants).
Je tiens également à préciser que toutes les opinions politiques ou religieuses sont celles du héros et en aucun cas les miennes.

- Bradon Ence, 8ème jour de Sombreciel, 4E204


- Bon alors, laisse-moi commencer par le commencement…

Apparemment, pour ce Khajiit, "le commencement" signifiait "trois grandes gorgées de flin hors de prix". Le genre de bouteille que mes revenus d'écrivain ne me permettaient pas d'acheter. Je soupirais en regardant ma bière bas de gamme. Vraisemblablement, le rare alcool dunmer aida l'homme à retrouver sa verve.

- En fait, tout ça a commencé de la façon la plus stupide qui soit. Mais, alors, quand je te dis stupide, même un crabe des vases passe pour un érudit à côté de ce genre de stupidités… Bref ! je m'égare ! J'en étais où ? Ah, oui, le commencement. En fait, à l'époque, je bossais pour un gars qui s'appelait S'rakha, un petit contrebandier de rien du tout… Il disait tout le temps qu'il descendait de Ya'Tirrje, tu sais, le Chat Doré, le contrebandier de la fin de la 3ème ère ? Et il pensait que tout le monde serait impressionné, il se prenait pour le roi de Rimmen… Et au final, bah c'est le vrai roi de Rimmen qui l'a fait pendre. Enfin bref, je m'égare encore ! Désolé, ça c'est nous, les khajiits, on est très… désorganisés, c'est dans notre nature. Et donc, je bossais pour S'Rakha, je m'occupais de trafics longue distance, je passais mon temps à cavaler dans tout Cyrodiil… et ça me plaisait ! En même temps, à l'époque, le coin n'était pas très agréable à vivre : les tensions entre Anequina et Pellitine, l'agitation interne à Rimmen, la répression du Renrijra Krin… Tu connais le Renrijra Krin ?

Je lui répondis que j'avais lu quelque chose sur cette organisation, mais que tout cela datait de la crise d'Oblivion… Je ne comprenais pas vraiment pourquoi il me parlait d'une faction aussi ancienne.

- Ah oui, mais ça n'a rien à voir, poursuivit l'intarissable Khajiit. Toi, tu parles de l'ancien Renrijra Krin, ceux qui se battaient pour récupérer des territoires perdus par Elsweyr à l'époque… Le Renrijra Krin d'aujourd'hui s'inspire en fait de ses illustres ancêtres, mais eux veulent refonder Elsweyr, rien que ça ! Réunir Anequina, Pellitine et Rimmen… Alors évidemment, tu t'imagines bien qu'ils ne se font pas que des amis.

Fort heureusement, j'avais de solides notions en histoire des provinces impériales. A la fin de la Troisième Ere, au moment de la crise d'Oblivion, la province natale des Khajiits était connue sous le nom de Confédération d'Elsweyr : elle consistait en l'alliance des deux principaux royaumes locaux, Anequina et Pellitine. Au tout début de la Quatrième Ere, Elsweyr et le Marais Noir firent sécession d'avec l'Empire, devenant des royaumes autonomes. Cent ans plus tard, Elsweyr se sépara à nouveau en Anequina et Pellitine, qui devinrent des états vassaux du Thalmor, l'autorité suprême du Domaine Aldmeri des Hauts-Elfes. Ce dernier ne voyait certainement pas d'un bon œil les actions d'une organisation de Khajiits luttant pour la réunification.

J'avalai une grande gorgée de bière et écoutai toujours le Khajiit qui n'en finissait pas de parler et de se perdre dans son propre discours.

- Donc du coup, j'étais assez content d'avoir un "travail" qui me permette de voir du pays, même si c'était risqué. A la limite, les gardes de Cyrodiil, ça va, on leur glisse quelque septims dans la main et ils n'ont rien vu, mais si jamais tu tombes sur la Légion ou les Thalmor, tu peux être sûr que ta tête finit au bout d'une pique en moins de temps qu'il n'en faut pour dire "Talos".

En entendant ce nom, je me retournai par pur réflexe. Fort heureusement, il n'y avait aucun agent du Thalmor dans l'auberge. Je n'aurai pas voulu qu'on nous croie coupables de la vénération d'un dieu interdit.

- …Et puis si j'avais obtenu ce boulot, c'est parce que S'rakha savait que j'étais doué pour ne pas me faire repérer et me fondre dans la foule, il n'aurait pas laissé un jeune chaton trimballer du skooma dans tout Tamriel !

Je lui jetai un petit coup d'œil à peine accusateur, pour lui signifier qu'il s'égarait encore.

- Ha, oui, excuse-moi Ence. Le commencement. Donc, cette fois-là, je devais amener un chargement au Col clair, à la frontière de Bordeciel. Je devais remettre la marchandise à un dénommé Lokir, un contact de S'Rakha qui était chargé des opérations entre Bordeciel et Lenclume. Donc je me pointe au Col clair, après une journée de marche dans le froid et la neige… je t'ai déjà dit que je déteste ce fichu temps qu'ils ont dans le Nord ? Enfin bref, je me ramène, les pattes gelées, au lieu de rendez-vous, une espèce de vieux fort en ruines couvert de neige. Et en effet, je tombe bien sur Lokir… Dans une charrette, menotté et entouré de toute une garnison de légionnaires.